Une agence, un jour : Gavillet & Rust
Ce studio de graphic design a été créé en 2001 par Gilles Gavillet et David Rust. Leur spécialisation dans le design éditorial, l’identité de marque, la typographie tant pour des projets culturels que commerciaux, les a amené à créer la fonderie Optimo afin de répondre aux demandes digitales. Directeurs artistiques de JRP|Ringier depuis 2004, ils ont également été exposés au Centre Pompidou à Paris, créé un identité pour Jay-Z et pour la marque Ikepod.
Quelles sont les origines de votre collaboration ?
Notre collaboration date d’une quinzaine d’années. Nous étions tous les deux étudiants au milieu des années 90 et faisions partie de cette première génération de designers qui avaient accès aux outils informatiques nécessaires pour dessiner un caractère et l’utiliser dans un travail. La typographie a sans conteste été notre premier intérêt commun. Nous avons vite perçu la richesse d’expression qui s’ouvrait dans ce domaine, en particulier la possibilité de pouvoir développer et faire circuler nos propres signes. Après nos études, nous avons fait nos expériences chacun de notre côté pendant quelques années avant de nous associer en 2001 pour mettre en place le studio de design graphique Gavillet & Rust. Nous avons d’emblée cherché à travailler de manière pluridisciplinaire, avec une prédilection pour le domaine culturel. Nous avons également mis en place une fonderie typographique, dénommée Optimo, qui nous a permis très tôt de collaborer avec d’autres types de designers dont nous apprécions le travail. Il s’agit de deux structures distinctes, mais elles se nourrissent l’une de l’autre de manière totalement organique.
Une approche transversale, ce n’était pas courant en Suisse…
Effectivement, ce type de studio existait depuis un moment à Londres et nous avions des modèles comme Peter Saville, Neville Brody ou plus tard Tomato. En Suisse, Cornel Windlin, qui avait travaillé chez Neville Brody, a largement contribué à montrer à notre génération qu’un designer était un intervenant à part entière dans le développement de toutes les étapes d’un projet. Je ne sais pas si on avait vraiment conscience à l’époque qu’un changement était en train de s’opérer mais, lorsque nous sommes sortis de l’école, il y avait très peu de studios de design graphique dans lesquels nous étions prêts à nous engager. Il y avait une rupture entre les agences classiques et les nouveaux modèles en train de se mettre en place, et cela était très visible, tant formellement que conceptuellement. Il y avait de la place pour d’autres alternatives. C’est donc très naturellement que nous avons décidé de travailler pour nous, d’élaborer quelque chose qui nous ressemble. Il y avait d’autres acteurs qui partageaient les mêmes soucis, les mêmes préoccupations et nous avons rapidement commencé à collaborer sur des bases communes. Graphistes, éditeurs, artistes, etc, nous avons eu la chance de grandir ensemble, en apprenant nos métiers par la pratique.
Comment vous positionnez-vous par rapport à la tradition du design graphique suisse ?
Notre éducation visuelle s’inscrit inévitablement dans une généalogie helvétique et cela a commencé bien avant nos études artistiques. En prenant le train, en marchant dans la rue, il ne fait aucun doute que grandir en Suisse contribue à définir une certaine approche du design. Lorsque nous étions étudiants, cette tradition était en train de se dissoudre et nous nous sommes jetés les yeux fermés dans l’expérimentation. Nous avions quelquefois des intervenants qui défendaient une approche conceptuelle de l’image et de la production visuelle en général. Je me rappelle que nous étions avides de ces rencontres et de ces approches qui n’étaient pas liées directement à une production graphique. Durant cette période, il y a quelques rencontres décisives, comme Paul Scott Makela, un graphiste qui nous invite à la Cranbrook Academy of Arts à Detroit où il enseigne. Où la musique joue un rôle important, en particulier les pochettes de disques qui étaient encore des supports d’expression privilégiés. Nous avons beaucoup appris pendant cette période, en termes d’analyse des signes et de codes visuels pour, finalement, revenir à une simplicité sans doute très « helvétique ».
On vous associe souvent au design éditorial, s’agit-il d’un choix volontaire ?
Dans les années 50 et 60, un studio de design graphique collaborait aussi bien pour une institution culturelle que pour une entreprise industrielle. Actuellement, les champs se sont énormément refermés. Si nous avons pu nous développer aussi bien dans le domaine culturel, c’est sans doute grâce à la situation avantageuse de la Suisse dans ce domaine. Par contre, les frontières entre les différents univers sont devenues hermétiques, en particulier lorsqu’on touche aux domaines plus commerciaux, où l’on se retrouve face au clivage de la communication versus le design graphique. Malgré cela, nous apprécions continuellement de pouvoir nous ouvrir à d’autres types de collaborations. Par exemple, l’horlogerie est un domaine dans lequel nous serions intéressés de travailler davantage. Nous avons fait un pas dans cette direction en collaborant pour la marque Ikepod, lancée par Mark Newson. Ce sont des domaines relativement formatés dans lesquels il existe peu d’opportunités de décrocher des mandats aux enjeux véritablement intéressants.
Quels sont les principaux projets de votre parcours ?
Un de nos premiers projets d’envergure a été l’identité visuelle pour le club qui se trouvait sur l’Arteplage de Neuchâtel pendant l’Expo02. Nous avions utilisé la typographie comme un élément unitaire central de cette communication visuelle. Par la suite, cette police de caractère « Cargo » a rencontré un certain succès dans des contextes différents, et nous l’avons même proposée au rapper Jay-Z qui l’utilise pour l’identité de son label Roc Nation! Pour citer un projet plus actuel, nous terminons en ce moment un ouvrage commandé par le Guggenheim de New York pour le Hugo Boss Prize, le prestigieux concours d’art contemporain qui offre au lauréat une exposition monographique dans le Musée.
Qu’est-ce que le dessin de caractères ?
A l’instar des objets éditoriaux que nous produisons, les caractères typographiques opèrent comme des éléments viraux et peuvent se diffuser de manière illimitée. Je suis intéressée par l’idée de produire quelque chose qui n’était pas forcément contraint à un contexte précis, qui peut être réapproprié par d’autres personnes, vivre des vies et des contextes d’applications successifs. Suivre leur évolution dynamique dans le temps et l’espace est une expérience de culture visuelle tout à fait étonnante.
Vous êtes mondialement reconnus par vos contributions dans le domaine de l’art contemporain. Comment vous y êtes-vous intéressés ?
En terme d’art contemporain, la Suisse occupe une place centrale car on y trouve beaucoup d’acteurs et d’institutions dont l’aura dépasse largement nos frontières. Nous avons eu la chance de rencontrer beaucoup d’artistes qui ont eu une grande influence sur notre développement. Notamment l’artiste Fabrice Gygi qui a sans doute eu autant d’impact sur mon travail que d’autres designers graphiques dans sa façon de négocier les signes qui nous entourent en Suisse. Les discussions que j’ai eues avec lui à travers différents projets m’ont énormément nourrie en termes d’influence. De mes études à l’ECAL à nos multiples collaborations, notamment son catalogue lors de la Biennale de Sao Paulo en 2002. En ce qui concerne la Biennale de Venise 2011, nous avions été invités par la commissaire Bice Curiger pour réaliser la communication visuelle et les catalogues. Ce fut une entreprise aussi complexe que stimulante. Du concept à son développement, et au vu de l’important volume de production, nous avons assuré une direction artistique auprès de plusieurs équipes de designers, basées en Italie.
Vous effectuez également un travail de direction artistique important avec la maison d’édition JRP | Ringier. Comment cela se passe-t-il ?
En effet, depuis 10 ans je me charge de la direction artistique de JRP|Ringier en collaboration étroite avec Lionel Bovier [NDR: fondateur et directeur de JRP | Ringier] .Dans ce cadre, nous avons réalisé de très nombreux ouvrages pour des artistes, galeries et institutions de premier plan en Europe et aux Etats-Unis.
Au début, notre mandat fut consacré à développer des typologies éditoriales et des collections d’ouvrages et à les établir jusqu’à ce que que d’autres designers puissent y collaborer sous notre supervision. Cette collaboration rapprochée nous a permis de développer des projets très cohérents en terme de contenu et de forme, et de fournir un service très complet, du concept à la production. Plus récemment, nous nous consacrons à des projets spécifiques comme YEAR 44, le nouveau livre annuel d’Art Basel sur lequel nous avons travaillé plus d’une année. Un objet unique, qui rassemble les trois foires (Hong Kong, Basel et Miami) dans un ouvrage dense. Il va sans aucun doute devenir un outil essentiel pour la communauté artistique globale.
Portrait @Mélanie Hofman